
Si l’élégance des démonstrations invite au respect, le rapport au réel et les capacités prédictives sont un peu en retrait. L’irrationalité des consommateurs ou encore des marché est alors invoquée pour justifier les décalages avec la réalité.
Appliquée au comportement alimentaire, cette vision se révèle encore plus problématique car elle est entachée d'un double réductionnisme. Premièrement, si l'individu choisi, il le fait dans un espace largement surdéterminé par le biologique d'une part et par son modèle alimentaire d'autre part, lui-même conditionné par ses origines sociales et culturelles. Deuxièmement, la rationalité évoquée ci-dessus n'est qu'un cas particulier dans la palette des modalités de raisonnement que l'individu peut mettre en oeuvre.
Depuis Max Weber, la pensée sociologique distingue plusieurs formes de rationalité. La rationalité en finalité ou rationalité instrumentale, dans laquelle les conséquences justifient la décision et la rationalité en valeurs pour qui c’est le respect de certaines valeurs qui guide les décisions et non les conséquences. Mais, il est une autre fiction dont il convient aussi de se départir ; les mangeurs pas plus que les consommateurs ne raisonnent pas toujours leurs décisions.
La théorie sociologique des rationalités alimentaires (TSRA) élargie et complète la théorie économique du choix rationnel (TCR). Elle distingue trois formes de rationalité : la rationalité en finalité, la rationalité en valeur et la rationalité en routine. Elle dégage enfin les arrière-plans cognitifs sur lesquels s’articulent la légitimation de l’une ou l’autre forme de rationalité.
(Par Jean-Pierre Poulain, Professeur de sociologie, Université de Toulouse 2 - 6ème Congrès International Goût-Nutrition-Santé)